La Tribune - édition du 10/05/2002 |
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Pourquoi la ligne
Maginot a-t-elle été un fiasco ? Pourquoi la navette Challenger
a-t-elle explosé ? Le sociologue Christian Morel décrypte "les
erreurs radicales persistantes" générées par l'activité humaine.
Passionnant...
"Les décisions
politiques recherchent la mobilisation collective. On est prêt à
payer un prix élevé pour assurer la mobilisation, pour que chacun y
trouve son compte. Ce qui est recherché n'est pas la bonne solution,
mais l'adhésion. [...] Ces décisions sont potentiellement absurdes,
parce qu'on peut tout faire au nom de la mobilisation. Dans cette
perspective, mieux vaut une solution absurde qui suscite l'adhésion
collective, plutôt qu'une solution parfaite sans soutien."
Il
ne faudrait pas prendre ces quelques phrases du sociologue Christian
Morel, tirées de son livre les Décisions
absurdes, pour un commentaire de ce que peut être le
fondement de l'action politique, d'aujourd'hui comme d'hier, et
pratiquée ici en France ou ailleurs.
Le sociologue prend bien
vite comme exemple, pour illustrer ce propos qu'il classe dans ce
qu'il appelle "les décisions collectives fragiles", celui de la
ligne Maginot, cette forteresse de bunkers qui devait protéger la
France de l'ennemi allemand après la Première Guerre
mondiale.
L'erreur "normale". L'ambition de l'essai de
Christian Morel est ailleurs. "Décrire, analyser et comprendre des
décisions étranges : celle où leurs auteurs agissent avec constance
et de façon intensive contre le but qu'ils se sont fixé". Autrement
dit, ceux qui tirent finalement contre leur camp, aboutissant à
cette catégorie particulière d'erreurs que le sociologue nomme "les
erreurs radicales persistantes".
Chercher l'erreur dans les
comportements humains est certainement vieux comme le monde. Mais
Morel cherche à faire oeuvre originale, en appuyant ses analyses sur
des exemples extrêmement variés, là où il y a "persistance de
l'action contre l'objectif" : le crash, en 1989, d'un Boeing
de la British Midland Airways à la suite de l'arrêt par les pilotes
du seul réacteur qui fonctionnait normalement ; l'explosion de la
navette Challenger (1986) lancée malgré les avertissements des
ingénieurs ; une réforme des entretiens d'appréciation dans un grand
groupe américain de l'industrie alimentaire, qui aboutit à l'inverse
du but recherché ; des copropriétaires qui se mettent d'accord pour
ne fermer qu'un seul des deux accès de leur immeuble pour lutter
contre le cambriolage, etc.
Christian Morel fait le tri entre
ce qui peut être l'erreur "normale" et l'erreur "absurde". Il donne
aussi les clés pour décrypter le mécanisme de cette persévérance
dans l'erreur, qui relève à la fois du cognitif (erreur de
raisonnement), du collectif (erreur consensuelle ou conflictuelle)
et du "téléologique" (la perte de sens).
Ce livre, très
rudement charpenté, est passionnant. Et ces décisions absurdes ne nourrissent-elles
pas abondamment la création artistique ?
Jean-Pierre
Bourcier
- "Les Décisions
absurdes" de Christian Morel. NRF, éditions Gallimard,
309 pages, 21 euros.
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