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N°674   Avril 2003
 
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N°108  mars 2003
Etudes

IXE GRAND PRIX DU LIVRE DE MANAGEMENT ET DE STRATEGIE
L'entreprise, continent noir de la prise de la décision
Résumé:
Attribué pour la neuvième année consécutive, le Grand Prix du livre de management et de stratégie a été remis le 28 février (au restaurant Petrossian) à Christian Morel pour son ouvrage Les Décisions absurdes. Sociologie des erreurs radicales et persistantes (Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines). Un choix qui révèle à quel point est précieux l’apport des sciences humaines à l’art du management…
“ Errare humanum est ! ” Rien n’est plus banal dans la vie d’une entreprise que les dysfonctionnements, erreurs, ratages de toutes sortes. Ce n’est pas par hasard s’il a fallu inventer la “ qualité totale ” et le “ zéro défaut ”. Des tonnes de littérature ont déjà souligné le fossé qui sépare le processus de décision tel qu’il est décrit dans tous les bons manuels et la réalité quotidienne, nettement moins rationnelle, du fonctionnement de l’entreprise.
Mais s’il est humain de se tromper, “ persévérer dans l’erreur ” est diabolique. C’est justement cette persévérance qui passionne Christian Morel, dont la double casquette de sociologue et de responsable opérationnel dans une entreprise – il est DRH de la division Véhicules utilitaires de Renault – lui confère une légitimité particulière en tant qu’acteur et observateur.
Son ouvrage s’intéresse uniquement aux décisions absurdes, c’est-à-dire à celles qui sont contraires aux objectifs poursuivis par ceux qui en sont les auteurs. Parmi ces décisions absurdes, un nombre non négligeable se distingue par leur caractère à la fois “ radical ” et “ persistant ”. Autrement dit, des groupes humains organisés composés d’individus compétents s’ingénient à répéter collectivement des mécanismes de décision qui vont immanquablement à l’encontre de leur but initial.
A partir d’exemples simples collectés dans des domaines et des situations variés (accidents d’avion, collisions de bateaux, vies familiales, vie de l’entreprise), Christian Morel débusque trois types d’explications. D’une part ce qu’il appelle les “ biais cognitifs ” conduisent à occulter toute démarche analytique et à miser sur une probabilité de réussite plausible. D’autre part, les mauvaises interactions collectives (recherche d’un consensus à tout prix, silence des experts…) aboutissent à faire passer l’harmonie du groupe avant les objectifs fondamentaux. Enfin, la perte de sens donne aux décisions les plus absurdes l’apparence de la normalité. Dans le cas de Challenger, on a préférer lancer la navette coûte que coûte, en minorant les signaux d’alerte, plutôt que d’avoir fait déplacer des VIP pour rien ! On a ainsi perdu de vue le but initial : réussir le lancement. Ces trois types de comportement se combinent fréquemment pour produire des catastrophes.
Christian Morel n’apporte pas de solutions, ne donne pas de conseils ou n’a pas conçu de méthodes susceptibles de permettre d’éviter les décisions absurdes. Mais il est impossible à quiconque a eu un jour des responsabilités dans une organisation de ne pas lire ces pages à la lumière de sa propre expérience. Le plus étonnant, c’est la très grande tolérance collective relevée par l’auteur vis-à-vis des décisions absurdes. Gageons qu’il en ira un peu autrement après la lecture de son livre !
Mention spéciale du jury
Stratégie et esprit de finesse,
Guy Chassang, Michel Moullet et Roland Reitter (Economica)
Les géomètres raisonnent correctement, mais uniquement à partir de principes bien établis. Qu’ils manquent de finesse et ils risquent de raisonner faussement, même à partir de leurs bons principes…
Cette constatation faite par Pascal sert de préambule et de fil conducteur à l’ouvrage de Chassang, Moullet et Reitter sur le management stratégique. A l’instar du grand philosophe qui souligne la nécessité de penser à partir des outils de la rationalité mais aussi du “ bon sens commun ”, le propos des auteurs consiste à métisser le management stratégique avec les sciences sociales. Leur livre se fonde, disent-ils, sur “ la conviction qu’il est plus rationnel pour un dirigeant de s’appuyer sur une approche scientifique dérivée des sciences sociales que sur l’approche mystique ” développée par les créateurs de concepts managériaux. A partir de cette posture, les auteurs élaborent une véritable démarche d’intégration entre les dimensions “ business ”, organisationnelle et psychosociologique de l’entreprise.
François Glemet : “ Notre mission est de faire progresser la réflexion ” (François Glemet est directeur associé senior de McKinsey & Company.)
Votre cabinet est depuis neuf ans le fidèle partenaire du Grand Prix du livre de management et de stratégie. Qu’est-ce que ce prix représente pour vous ?
Quand on fait, comme nous, un métier d’idées, faire progresser la réflexion fait partie de notre mission. C’est même la moindre des choses. Or les bonnes idées sont partout. Ce prix est l’occasion de les faire circuler plus largement et d’apporter aux managers les outils les plus en phase avec les nouveaux enjeux auxquels ils sont confrontés.
Seuls les livres francophones peuvent concourir. Est-ce un pied de nez aux auteurs anglo-saxons ?
Pas du tout ! Il existe dans l’univers du management le même phénomène que dans d’autres domaines de la recherche : on observe une très nette prépondérance des concepts venus d’outre-Atlantique. Si ces concepts sont acceptés et appliqués mondialement, c’est évidemment parce qu’ils sont pertinents. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas apporter des adaptations ou des manières de voir relevant de notre culture et d’un environnement économique différent. Le modèle de pensée du Vieux Continent fonctionne depuis deux mille ans. Il a évidemment sa pierre à apporter au débat stratégique et managérial. C’est le sens de ce Grand Prix.
Quels sont les critères de sélection ?
Parmi une abondante production éditoriale, nous retenons les ouvrages qui concilient un haut niveau de réflexion, une originalité dans le propos et une possible application dans l’entreprise. Entre les généralités académiques difficilement applicables et les manuels méthodologiques, le chemin est parfois étroit…
Qu’est-ce qui vous a frappé dans les sélections et les lauréats des dernières années ?
Un appétit des dirigeants pour la dimension sociologique, psychologique et comportementale du management. On a ainsi primé des livres comme Le sociologue à l’écoute du manager ou N’obéissez plus !. On se rend de plus en plus clairement compte de l’importance des valeurs et des cultures dans la réussite ou l’échec des organisations. Les comportements priment sur les organigrammes ou sur les procédures.
Le livre de Christian Morel s’inscrit-il dans cette dimension ?
Cet ouvrage, qui n’est pas à proprement parler un livre de management, s’interroge sur la façon dont les groupes humains, dans les entreprises ou ailleurs, peuvent prendre collectivement des décisions absurdes. A ce titre, il s’adresse au premier chef aux dirigeants, dont la première responsabilité est de prendre des décisions. Les exemples et les mécanismes analysés par Christian Morel remettent en question nos certitudes cartésiennes et rationnelles typiques de notre culture.



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